Nous avons tous besoin d’intimité. Et si le sexe n’est jamais un droit, plus de gens devraient savoir que les services des professionnels du sexe sont une option possible.
J’ai commencé à travailler comme escort-girl à 27 ans. Ma pension d’invalidité couvrait tout juste mes besoins et me laissait peu d’économies ou de possibilités d’achats non-essentiels, sans compter que je me sentais seule chez moi, sans travail. Je souhaitais désespérément être un membre actif de la société. Ce travail bien rémunéré, qui prenait peu de temps, m’a offert la flexibilité que je n’ai jamais eue dans les emplois classiques. En effet, ceux-ci provoquaient chez moi des crises de panique et une fatigue chronique car j’étais trop sollicitée, ce qui se traduisait par de mauvaises performances et un licenciement.
Je souffre de problèmes neurologiques tels que l’angoisse et l’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA). Le commerce du sexe m’a permis d’avoir une profession dans laquelle je me sens, pour une fois, compétente. Peu à peu, je me suis constitué une clientèle, et j’ai gagné en confort financier et en assurance. Je suis heureuse de donner de la joie à mes clients, comme ils m’en ont donné.
Beaucoup de raisons peuvent pousser à voir une escort-girl. L’un de mes clients était en couple avec une femme qui avait des douleurs lors des rapports sexuels et qui l’a encouragé à faire appel à une professionnelle. Une autre travailleuse du sexe m’a raconté avoir reçu un message d’une femme qui lui envoyait son mari pour qu’il apprenne à tenir plus longtemps au lit. Beaucoup de mes clients travaillent trop pour pouvoir s’engager mais souffrent de solitude, de manque de relations intimes, voire de dépression. Nombre d’entre eux sont insatisfaits de leur vie sexuelle mais ne souhaitent pas divorcer pour autant.
Après un peu plus d’un an d’exercice, j’ai commencé à déceler une tendance. La plupart de ceux qui me contactent sont des hommes blancs cisgenre, plus âgés que moi. Quand on pense au client type d’une escort-girl, on imagine sans doute un homme marié qui travaille et voyage beaucoup. Si j’ai un faible pour les gentlemen aux tempes grises, il faut savoir que les services des travailleurs sexuels ne sont pas réservés aux mâles blancs d’un certain âge qui souffrent du manque de sexe dans leur mariage et ont suffisamment d’argent pour régler le problème discrètement. En fait, près de la moitié de mes clients sont des personnes de couleur et beaucoup ont plus ou moins mon âge. Mais j’aimerais voir encore plus de variété dans ma clientèle: des gens souffrant de maladies mentales, des handicapés, des femmes, ou encore des LGBTQIA+ (oui, les asexuels aussi, car les rapports intimes ne se résument pas au sexe).
Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de se payer une escort-girl. La société est ainsi faite qu’en général, les hommes blancs mûrs et cisgenre sont avantagés en la matière. Pourtant, comme moi, beaucoup de professionnels du sexe ne font pas que ce métier pour l’argent, mais aussi pour rendre les gens heureux. C’est pourquoi nombre d’entre nous proposons parfois des réductions, ou plus de temps pour les personnes marginalisées.
Je ne dis pas que tous les professionnels du sexe devraient le faire, mais je trouve qu’il serait bon d’essayer de favoriser la diversité dans notre clientèle, que ce soit en adaptant la formulation de nos annonces ou en nous montrant plus disponibles.
En tant que femme handicapée, émancipée à travers l’industrie du sexe, je sais que beaucoup d’autres travailleurs du sexe marginalisés (des autistes, des gens de couleur, des queers) se sentent proches des gens comme eux, en quête d’une vie meilleure. Si plus de gens différents pouvaient profiter des services sexuels, ce secteur serait aussi moins stigmatisé: plus on verra que des personnes différentes ont accès à nos services, moins la société nous considérera comme de simples photos en ligne. On verra enfin en nous des êtres humains.
Quand je vois un client nerveux repartir avec le sourire aux lèvres, je sais que j’ai choisi le bon métier.
Bien sûr, les travailleurs du sexe sont libres de choisir leurs clients. C’est leur corps, et nombre d’entre eux précisent clairement dans leur annonce ou sur les réseaux sociaux qu’ils refusent les clients de telle ou telle origine ethnique, ou plus gros qu’eux. Mais je trouve ça aussi discriminatoire que de refuser de faire un gâteau de mariage pour un couple gay.
En tant qu’escort-girl, mon travail consiste à offrir des moments d’intimité à mon client: en partageant une discussion autour d’un dîner, en se découvrant au lit, etc. Peu importe qui vous êtes; mon travail est de ne pas vous juger.
J’ai vu les conséquences des comportements discriminatoires sur les clients potentiels, qui deviennent méfiants et se sentent parfois rejetés. Certains se croient obligés de m’indiquer à l’avance leurs origines ou leur surpoids, de peur que je leur claque la porte au nez. Un homme m’a dit que plusieurs escortes lui ont refusé des rendez-vous juste parce qu’il était d’origine indienne.
Grâce à ce travail, j’ai pu rencontrer toute sorte de gens que je n’aurais jamais rencontrés autrement. Comme cet ancien combattant souffrant du symptôme de stress post-traumatique qui ne voulait surtout pas s’engager, cet Indien très gentil qui tentait de se remettre d’une rupture, cet Asiatique timide en manque de sexe ou ce type handicapé qui cherchait une petite amie. Mais je n’ai pas encore eu de clients femmes ou transgenre. En tant qu’escort-girl pansexuelle, j’aimerais offrir mes services à plus de clients LGBTQIA+, mais je ne sais pas trop où faire passer l’information, puisque les hommes blancs cisgenre sont aux manettes des commissions de révision, et les plateformes d’annonces se font rares depuis l’adoption de la législation FOSTA-SESTA, censée lutter contre le trafic sexuel.
Les gens ont une mauvaise image des gens qui paient pour voir des escortes, mais je sais à quel point le manque de sexe peut être dur à vivre, qu’on soit seul ou en couple. Quand je vois un client nerveux repartir avec le sourire aux lèvres, je sais que j’ai choisi le bon métier. Dans ces cas-là, je me demande toujours pourquoi on méprise les gens qui font appel aux travailleurs sexuels. Mes clients sont des gens ordinaires qui veulent juste se sentir désirés, comme tout un chacun.
Taylor Goode, ex-client d’escort-girls, est devenu un professionnel du sexe en constatant que les femmes hétérosexuelles avaient elles aussi besoin de services de ce genre. Il évite les plateformes d’annonces classiques et trouve ses clientes par le bouche-à-oreille et sur Twitter. Il se fait moins payer que les escort-girls et affirme qu’il s’agit d’un des rares secteurs où une femme peut gagner plus qu’un homme. On pourrait se demander pourquoi des femmes sont prêtes à le payer, alors qu’elles pourraient trouver plus facilement des aventures sexuelles que les hommes. Taylor rétorque que ses clientes sont souvent frustrées sexuellement ou émotionnellement et qu’elles mettent de côté la honte suscitée par le mépris social, car elles savent que l’expérience en vaut la peine.
Nous avons tous besoin d’intimité. Et si le sexe n’est jamais un droit, plus de gens devraient savoir que les services des professionnels du sexe sont une option possible.
Sur Twitter, j’ai consulté d’autres travailleurs du sexe sur les moyens de rendre nos services plus inclusifs. Beaucoup s’accordent à dire que tout le monde devrait pouvoir accéder à la sexualité, et pas seulement les hommes blancs cisgenre. Outre les réductions tarifaires et le temps supplémentaire alloué aux groupes marginalisés, beaucoup de travailleurs du sexe m’ont dit ne pas faire particulièrement de publicité pour les services destinés aux clients « alternatifs », tout en restant ouverts à cette possibilité au cas par cas. Lors de cet échange, une travailleuse du sexe surnommée Juniper Jane a décidé de proposer une réduction de 25% à toute personne qui n’est pas un homme cisgenre valide, ajoutant que les femmes transexuelles sont ses clientes préférées.
En discutant, quelqu’un a lancé que les escortes devraient être remboursés par la sécurité sociale car les relations intimes contribuent à la bonne santé sexuelle. Un autre a fait remarquer qu’il existe déjà des assistants sexuels qui s’occupent des handicapés mais qu’en général, l’assurance sociale ne couvre pas leurs services. La meilleure solution pour diversifier la clientèle des travailleurs sexuels est sans doute d’encourager les personnes marginalisées à prendre leur sexualité en main.
Il est parfois dur de s’autoriser à chercher un moyen de satisfaire ses désirs. Pourtant, si plus de gens avaient la même confiance en eux que les hommes blancs cisgenre, ils seraient moins gênés de faire appel aux travailleurs du sexe, comme ils le feraient pour n’importe quel autre service. En attendant, sachez que beaucoup d’entre nous sommes prêts à vous accueillir à bras ouverts, sans aucun jugement.